LE PARISIEN - Le brutal renchérissement du prix des aliments, notamment du riz, a provoqué une flambée de colère en Afrique, mais aussi en Asie et dans les Caraïbes. Nos envoyés spéciaux à Dakar décrivent la souffrance des Sénégalais.
De Douala (Cameroun) à Abidjan (Côte d’Ivoire), du Caire (Egypte) à Dakar (Sénégal), en passant par Ouagadougou (Burkina Faso), les manifestations contre la faim secouent les capitales africaines. De semblables émeutes éclatent en Thaïlande ou au Bangladesh. A Haïti, où le prix du sac de riz avait doublé en moins d’une semaine, le chef du gouvernement a été renversé après une soudaine éruption de violence et des morts par balle. Et ce ne serait qu’un début.
En moins d’un an, le coût des produits alimentaires a augmenté de plus de 50 %, pour des raisons aussi diverses que la mode des biocarburants, la spéculation, l’impact de la mondialisation, le changement climatique ou l’évolution des modes de vie. Les économies les plus fragiles sont menacées, la stabilité, déjà précaire, de nombre de pays que l’on dit en voie de développement est au bord de l’effondrement.
La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a la première poussé un cri d’alarme. La situation est si grave, prévient-elle, qu’elle pourrait aboutir à des guerres encore plus meurtrières que celles qu’avaient connues les continents africain et asiatique. Avant la récente flambée des prix (plus de 50 % pour le riz en deux mois, plus de 80 % pour les céréales en quatre mois), « un enfant de moins de 10 ans mourait toutes les cinq secondes, 854 millions de personnes étaient gravement sous-alimentées », indiquait, il y a quelques jours, le sociologue suisse Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, qui craint « une hécatombe ».
La disette menace
Alors que la France vient de doubler, en passant à 60 M€, l’aide alimentaire aux pays pauvres, les gouvernements concernés font ce qu’ils peuvent, comme le président haïtien René Préval qui a imposé une réduction de 15 % du prix du kilo de riz. Nos reporters sont allés enquêter au Sénégal, où la disette menace et où le président Abdoulaye Wade tente d’enrayer la crise en fixant le prix maximum du kilo de riz à 280 francs CFA, soit 0,42 €.
A Dakar, l’angoisse quotidienne pour le riz
SOUS LE TOIT de tôle, la chaleur est étouffante. Une tenture sombre, brodée de versets du Coran, couvre le mur de parpaings, juste au-dessus d’un poste de télévision aux images tremblantes. Le sol est en terre battue. Cela fait quarante ans que M’Baye Dieye, 81 ans, calot sur la tête, membres squelettiques, habite sa cahute, dans une ruelle de Grand-Médine, l’une des cités bidonvilles de la périphérie de Dakar. Des gamins pieds nus courent dans la poussière, des jeunes au tee-shirt délavé shootent dans des ballons de foot rapiécés. Les ordures s’entassent en monticules nauséabonds. Il y a deux ans, le vieil Hadj (NDLR : titre que l’on donne à ceux qui ont fait le voyage à La Mecque) était encore un tailleur réputé, fier de son pèlerinage accompli en 1988, de son unique fils, « futur informaticien », de sa fille, mère de plusieurs enfants. « Autrefois, on vivait mieux », souffle le vieillard. A la retraite, sans rentrée fixe d’argent, il a peur, aujourd’hui, que les siens « aient faim. »
Chaque jour, une vingtaine de personnes au moins se retrouvent autour du patriarche, à partager le repas de midi, ce riz brisé devenu « hors de prix », cuit par les épouses, dans une grande bassine, au milieu de la cour de la masure. « Dans le quartier, on le paye de 400 à 450 francs CFA (NDLR : 0,61 à 0,68 €) le kilo, s’insurge l’une des petites-filles, une jolie jeune femme aux cheveux drus. Cela devient de plus en plus dur de nourrir une famille. »
« Le riz est devenu si cher », se lamente MByang Diop, une robuste quinquagénaire qui, au coin de la rue, assise sur une chaise en plastique, vend des mangues et ces morceaux de calcaire dont les femmes enceintes sont friandes. La flambée du prix du riz, qui aurait augmenté de 30 % en deux mois, base de tous les repas dans un pays où la moitié des habitants vit avec moins de 1,30 € par jour, où le nombre d’enfants par famille polygame peut aller jusqu’à quarante, prend des allures de catastrophe. Première et terrible conséquence de ce choc alimentaire : selon les statistiques de la Banque mondiale, la malnutrition atteint désormais, au Sénégal, près d’un enfant de moins de 5 ans sur quatre.
« On fait toujours trois repas par jour, mais on économise sur les quantités »
« Nous achetons quatre sacs de 50 kg par mois. En quelques mois le prix est passé de 12 500 CFA à 17 000 CFA (un peu plus de 19 € à un peu moins de 26 €), s’alarme Rachida Khady Diatta. C’est dur. » Matrone au port de tête altier, elle est assise sur le canapé du salon de sa jolie maison du quartier Dieupeul, là où la Société immobilière du Cap Vert avait, il y a une trentaine d’années, mis en chantier des lotissements destinés à la classe moyenne, ces fameux Sicap, fierté d’innombrables familles de fonctionnaires presque aisés. Un téléviseur couleur grand écran trône sur une table basse, les boubous des dames, dont les oreilles s’ornent de boucles d’or, sont impeccables. La famille, une vingtaine de personnes, tente de sauver les apparences, mais a commencé à rogner sur la nourriture. « Jusqu’à maintenant, on fait toujours trois repas par jour, mais on économise sur les quantités », explique Rachida.
L’exode rural, entre autres facteurs, explique, en partie, la situation actuelle. « Quand je me suis installé à Sagalkan (NDLR : gros bourg rural à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Dakar), il y avait beaucoup d’arbres fruitiers et de cultures maraîchères, dénonce Cheikou Touré, ancien inspecteur de l’Education nationale, les paysans locaux vivaient plutôt bien. L’urbanisation accélérée a mis en danger cette économie. » A Sagalkan, on vit quand même « un peu mieux » que dans les quartiers pauvres de Dakar. « Grâce aux femmes, précise Rokhaya Sarr, la deuxième épouse du fonctionnaire en retraite. Elles ont fondé une association qui vend leurs légumes aux marchés. » Urbains comme villageois s’inquiètent d’une possible pénurie de riz. Ndeye Seck, 54 ans, mère de cinq enfants, une « vieille maman à sa charge », divorcée d’un riche marabout « qui ne lui donne pas un sou », survit « grâce à la solidarité familiale ». Dans ses « deux chambres et salon » du centre de Dakar, elle s’affole déjà. L’épicier chez qui elle se fournit d’habitude est en rupture de stock. « J’ai déjà été obligée d’aller en acheter très loin de chez moi. »
Sur le marché Sandaga, en plein coeur de Dakar, les énormes sacs, bleutés ou roses, venus de Thaïlande, s’empilent pourtant dans les échoppes obscures aux odeurs épicées. « Il n’y a pas pénurie, jure Mamadou, épicier depuis plus de trente ans. Tout ça, c’est des histoires, pour faire peur. » Il avoue quand même que depuis qu’il vend son riz brisé à 13 250 CFA (un peu plus de 20 €) les 50 kg, « les gens en achètent moins ». Mustapha Tall, l’un des trois plus gros importateurs de riz du Sénégal, lui, est « inquiet. Il a « dérouté des cargaisons vers le Sénégal » et assure « qu’il a pour quatre mois de réserves en riz » .
Face à la crise, quelles solutions ?
LES ORGANISATIONS mondiales n’ont rien vu venir ni rien pu prévenir. Les émeutes de la faim ont explosé partout dans le monde, braquant brutalement les projecteurs sur des phénomènes « muets » : conversion massive de l’agriculture céréalière en biocarburants, explosion de la consommation alimentaire de géants démographiques tels que la Chine et l’Inde. Devant l’urgence, chacun y va de ses solutions. Malheureusement tardives, car il faudra des années pour infléchir durablement l’explosion des prix des matières premières.
Doubler les aides. La France portera à 60 M€ sa contribution 2008 au Programme alimentaire mondial et aux ONG spécialisées (soit l’équivalent de 200 000 t de céréales). Le prix d’un avion Rafale... L’aide publique au développement « est passée de 0,47 % du revenu national brut à 0,39 % en un an », dénonce le PS. La France, qui prend au 1er juillet la présidence de l’Union européenne, espère que son exemple aura un effet d’entraînement. Paris pourrait accueillir, d’ici à la fin de l’année, une conférence sur la sécurité alimentaire. « Lutter contre la faim et la pauvreté » est également le thème retenu par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, pour la prochaine assemblée générale des Nations unies en septembre.
Responsabiliser les Etats. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) réunie à Brasilia devant 33 pays d’Amérique latine et des Caraïbes appelle au volontarisme des Etats : « La production alimentaire peut être doublée en cinq ans », affirme son président, Jacques Diouf. Les priorités : les travaux d’irrigation, le développement des infrastructures rurales et de l’agriculture familiale, un meilleur stockage des produits agricoles, l’accès au crédit et la révision des règles du commerce.
Freiner les biocarburants. Etats-Unis, Europe, Brésil et Canada convertissent une part croissante de leurs récoltes en biocarburants. Les Etats-Unis y injectent 20 % de leur production de grain et visent les 136 milliards de litres produits d’ici à 2020. Le Brésil produira, lui, 20 milliards de litres dès 2008. « Un problème moral », soulève Dominique Strauss-Kahn, patron du FMI (Fonds monétaire international). Solution : développer des carburants de deuxième génération moins gourmands. Mais cela prendra entre dix et vingt ans.
Orienter les aides financières sur le développement agricole. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) préconise, elle, un glissement des aides financières aux pays en développement du FMI et de la Banque mondiale vers l’amélioration de l’offre agricole afin de juguler l’inflation des produits alimentaires.
lundi 21 avril 2008
EMEUTES DE LA FAIM: Le Sénégal et l’Afrique au bord de la famine
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