jeudi 24 avril 2008

« AU SENEGAL, IL Y A UNE DETERIORATION DE LA SECURITE ALIMENATIRE », annonce le PAM



Par El Hadji Gorgui Wade NDOYE (ContinentPremier.Com)

GENEVE- Dans cette interview exclusive, Christiane Berthiaume, porte parole du PAM, confirme les propos du Président Wade qu’ « il n’y a pas de famine au Sénégal », mais elle constate une situation « de détérioration de la sécurité alimentaire ». Face à cette crise de niveau mondial, le PAM recommande un retour à l’agriculture et se dit prêt à soutenir les pays qui s’engageront dans cette voie. A court terme, l’organisation onusienne a lancé des filets de sécurité sociale, surtout pour les plus fragiles : les enfants, les mères enceintes et allaitantes. En collaboration avec l’UNICEF, le PAM veut garder les enfants à l’école. L’organisation nourrit plus de 20 millions d’enfants dans les écoles des pays pauvres.


Le président Abdoulaye Wade a déclaré que la presse fait du « sensationnalisme » en évoquant la « famine » ou « les émeutes de la faim ». Pour lui, il n’y a ni famine ni émeute au Sénégal. Que dit le PAM ?


« Il n’y a effectivement pas de famine au Sénégal, mais une situation qui doit être suivie de près pour les plus vulnérables, en particulier les femmes enceintes et allaitantes et les enfants, avec une période de soudure qui s’annonce plus difficile que les années précédentes et une détérioration de la sécurité alimentaire, en raison de récoltes moins bonnes dues à une faible pluviométrie, comme le souligne les autorités sénégalaises. Le Sénégal dépendant fortement des importations pour les céréales, la hausse des prix a eu un impact sur la vulnérabilité des plus faibles. Le gouvernement a annoncé des réformes de long terme et de court terme et cela doit être salué. Le PAM, pour sa part, travaille avec le gouvernement sénégalais dans le cadre de ses programmes d’action déjà existants dans le pays. »


Mme Berthiaume, le PAM a déclaré vendredi que la hausse des prix constitue son plus grand défi durant ces 40 dernières années. Peut-on en savoir les raisons ?


« L’augmentation vertigineuse des prix des céréales ainsi que du pétrole a un impact considérable sur deux aspects particuliers de la mission du PAM. D’abord, un impact financier important sur les activités du PAM qui vient en aide à 73 millions de personnes, parmi les plus vulnérables au monde : des réfugiés, des personnes déplacées par la guerre ou par les catastrophes naturelles, qui vivent dans des camps et dépendent de l’aide alimentaire du PAM pour survivre. En raison de l’envolée des prix, les coûts du PAM destinés à l’achat et au transport des secours alimentaires ont augmenté de 55% depuis juin dernier. Le PAM a dû réévaluer à la hausse son budget initialement prévu pour 2008 et demander un surplus de 756 millions de dollars. Ce montant est provisoire. Car il ne tient pas compte d’une éventuelle crise qui pourrait éclater dans le monde ; un autre conflit, une autre catastrophe naturelle dont les victimes auraient besoin de notre aide. Qui plus est, l’envolée des prix va entraîner dans la faim d’autres victimes, ceux qui vivent déjà sur le fil du rasoir dans les pays pauvres, qui dépensent déjà jusqu’à 70% de leur budget pour se procurer de la nourriture et qui ne peuvent absorber le choc d’une autre augmentation sans devoir retirer les enfants des écoles pour les mettre sur le marché du travail, réduire la qualité de leur alimentation et même le nombre de repas par jour. La Banque Mondiale estime que la crise actuelle menace 100 millions de personnes. Des milliers d’entre elles pourraient avoir besoin de notre aide. Le PAM doit faire face à un défi jamais connu : la faim a maintenant un nouveau visage. Le PAM intervient traditionnellement dans des situations où il y a absence de nourriture : pour venir en aide aux réfugiés et personnes déplacées qui ont fui la guerre ou une catastrophe naturelle et qui se retrouvent dans des camps sans opportunités de travail, ni de terres à cultiver. Or, à cause de la flambée des prix, il y aura des vivres sur les étagères des épiceries, ou encore dans les marchés, mais les plus pauvres n’auront pas les ressources financières pour se les procurer. Le problème de la faim a pris une dimension complètement nouvelle et différente de celle que l’on a connue à ce jour en raison de la crise mondiale actuelle de l’alimentation. Les réponses doivent être différentes et concluantes. »


Quelle est votre stratégie pour faire face à la situation ?


« Il faut d’abord répondre à l’urgence et faire en sorte que les 73 millions de personnes à qui nous venons en aide à travers le monde aient de quoi se nourrir, sans cela nous nous retrouverions au milieu de l’été avec de déchirantes décisions à prendre : soit réduire le nombre des bénéficiaires ou réduire les rations alimentaires. Mais nous sommes confiants. Les pays donateurs vont venir à notre secours. Ils sont conscients du problème et préoccupés par les conséquences possibles. A court terme, il s’agit pour le PAM de soutenir ou encore aider à mettre en place, dans les pays les plus touchés, des filets de sécurité sociale, surtout pour les plus fragiles : les enfants, les mères enceintes et allaitantes. Il faut aussi faire en sorte de garder les enfants à l’école avec des programmes l’alimentation scolaire (le PAM nourrit plus de 20 millions d’enfants dans les écoles des pays pauvres) et même élargir ces programmes qui pourraient servir de centre pour toute intervention nutrionnelle nécessaire. A long terme, c’est toute la politique de développement agricole qui est à revoir. Devant les avancées des nouvelles technologies, la course dans l’espace, l’internet, etc...
L’agriculture a été pendant trop d’années le parent pauvre du développement. Cette crise va peut-être redonner ses lettres de noblesse à l’agriculture. C’est à souhaiter, car sans nourriture, rien ne peut s’accomplir ; aucun développement n’est possible. Nous disposons de suffisamment de terres arables dans le monde pour nourrir tous les habitants de la planète. Or, de nombreux pays n’ont pas développé leur potentiel agricole. Le continent africain est l’exemple le plus frappant. La moitié de ceux qui ont faim en Afrique sont des fermiers. Certes, les pays africains auront besoin d’aide internationale, mais ils devront également en faire leur priorité et respecter les engagements pris par le NEPAD et l’Union africaine de consacrer 10% de leurs revenus au développement agricole. Près de 80% des employés en Afrique travaillent dans le secteur agricole. Pour sa part, le PAM est prêt à soutenir les politiques de réforme et à mettre son savoir-faire et ses soutiens techniques à la disposition des gouvernements qui s’engageront dans des programmes de développement agricole.
Simultanément, le PAM va continuer et augmenter ses achats locaux et mettre en oeuvre ce que l’organisation appelle « la solution 80/80/80 » : 80% des achats de denrées alimentaires dans les pays en développement afin d’aider l’économie de ces pays, 80% du transport assuré par des compagnies locales pour encore une fois aider l’économie locale et transférer un savoir-faire et 80% des employés engagés localement pour que ceux-ci puissent continuer le travail une fois que nous serons partis.


Qu’attendez- vous concrètement de la Communauté internationale ?


« Une crise de cette ampleur demande une réponse concertée de la part de tous : gouvernements, agence des Nations Unies, organisations non gouvernementales, secteur privé, citoyens du monde, etc.... A crise mondiale, il faut une réponse globale. Il faut s’attaquer une fois pour toute à la racine du problème. »

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