lundi 24 mars 2008

RETOUR COUR SUPREME AU SENEGAL: « La reforme est scientifiquement infondée », selon le Pr El Hadji Mbodj

Le projet de loi réinstaurant la Cour suprême a été adopté la semaine dernière en Conseil des ministres. Ce retour à la case départ dénote, selon le professeur El Hadji Mbodj, des manquements et incohérences dans le dossier. Le constitutionnaliste parle de « réforme scientifiquement infondée ». Quant à l’Ondh, elle dénonce un "empressement incompréhensible" de l’Etat, rapporte Sud Fm.
Le Professeur craint une dégradation de la "qualité des arrêts qui seront rendus par cette Cour suprême...Le danger, c’est de voir les arrêts élaborés et rendus par des magistrats non experts en la matière". En effet, fait-il remarquer, "il s’agit d’une juridiction générale, disposant d’une compétence générale et pas spécialisée. Or, selon la doctrine, la théorie du Droit public, par exemple, le Droit administratif ne peut se développer que là où il y a des juridictions administratives, tout comme le Droit constitutionnel ne peut s’épanouir que là où il y a une Cour constitutionnelle ou un Conseil constitutionnel", soutient le professeur El Hadji Mbodj.
Le spécialiste de Droit constitutionnel de soulever un second niveau de problème lié à l’indépendance de la Justice : « on revient à la case départ, parce que le Conseil d’Etat n’est pas seulement juge de l’Administration, mais il est également conseiller du président de la République, conseiller du gouvernement et conseiller du Parlement (de l’Assemblée nationale et du Sénat), contrairement au Conseil d’Etat français. Donc voilà un bloc de compétences administratives qui sera dévolu à des animateurs encore une fois non imprégnés des véritables contraintes, des véritables réalités de l’Administration. Donc cette réforme me paraît scientifiquement infondée même si, sur l’opportunité, nous n’avons pas à nous prononcer", soutient Mbodj.
Du côté de l’Organisation nationale des droits de l’Homme (Ondh), on parle de l’empressement de l’Etat pour faire revenir cette Cour suprême, alors que c’était juste à l’état de projet. « Ce projet de loi qui a été adopté nous a surpris parce que, comme vous le savez, des consultations étaient en cours et à ce jour, des conclusions n’ont pas été portées à notre connaissance pour validation ou invalidation. Le président de la Cour de cassation avait saisi tous les secteurs de la justice et même ceux de la société civile pour des consultations. Et on a appris que ce projet est passé en Conseil des ministres. Donc nous n’avons pas compris cet empressement », plaide Me Assane Dioma Ndiaye, président de l’Ondh.
Le défenseur des droits humains d’ajouter : "les principaux concernés, les magistrats, ne sont pas d’accord sur ce projet de loi, sur ce retour à la Cour suprême, parce que les arguments qui étaient brandis concernent en fait uniquement le Conseil d’Etat". Pour lui, les critiques sur cette juridiction condamnée à la disparition, avec les réformes en cours, ne se justifient pas. "On a reproché au Conseil d’Etat de n’avoir pas suffisamment statué cette année ou de n’avoir pas suffisamment reçu de requêtes. Or, on ne s’est pas demandé pourquoi cette situation de fait. Nous avions plutôt demandé une décentralisation de ce Conseil d’Etat, pour permettre aux citoyens qui sont à Tamba, à Diourbel, à Thiès d’avoir un organe plus près d’eux et en cas d’attaque d’un acte administratif, pouvoir saisir ce Conseil d’Etat. Nous avions également demandé que ce Conseil puisse statuer dans des délais raisonnables. Mais on a pris prétexte de cela pour revenir sur une réforme qu’on avait faite, qu’on n’a pas suffisamment évaluée, pour une réforme qui ne rencontre pas l’adhésion des principaux concernés, les magistrats", dit-il pour s’en désoler.

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