vendredi 21 mars 2008

COMMENTAIRE DU JOUR:Vaines diatribes

Non, il n’y a pas une République des Journalistes ! Il n’y en aura jamais ! Comme nous n’aurons pas une République des Magistrats encore moins de Mollahs, ni d’ailleurs d’aucun segment, groupe, groupement, ligue ou autres associations de la société. La République, une et indivisible, est et sera celle de tous. De tous quêtant tous les jours plus d’harmonie pour une Nation en perpétuelle construction. Travaillant à produire plus de richesses pour plus de bonheur pour ses enfants, ses femmes, ses hommes et ses vieux.
Le Sénégal a jusqu’ici trouvé les moyens de négocier intelligemment son évolution sociale qui, touchons du bois, se passe sans grands accros, ni chocs déstructurants. Le Wolof et le Sérère, le Peulh et le Diola, le Mandingue, le Balante et le Bassari vivent en bonne entente. Chrétiens, musulmans, pangolistes et autres ceddo vivent leur foi en partageant l’espace en toute bonne foi et dans l’harmonie. N’avons-nous pas des cimetières mixtes où dorment côte à côte pour un repos éternel, chrétiens, musulmans et animistes ? L’étranger est roi au Sénégal. C’est connu et chanté. Si l’on excepte la question casamançaise qui est complexe certes, mais semble résulter contingentement d’une approche inappropriée des différences culturelles et sociétales de la part de l’Etat central et de ses cadres dont certains ont aidé grandement à l’exacerbation de la frustration de populations de cette partie du Sénégal, la marche du pays est globalement caractérisée par la symbiose de ses communautés, par le commerce clairvoyant de ses différents segments. Cela est un acquis que nul n’a le droit de remettre en cause. Encore moins les journalistes.
Est-ce pour rappeler un tel sacro-saint principe, que le porte-parole du Khalife général des Tidianes de Tivaouane, Abdoul Aziz Sy « Junior » a fait sa sortie du mercredi 19 mars dernier contre les journalistes coupables à ses yeux de véhiculer des « contrevérités » susceptibles certainement de créer la dysharmonie, de braquer le pouvoir central contre une communauté, la sienne ? De susciter incompréhension entre les confréries ? D’indexer Tivaouane comme ville rebelle ?
Si ce sont là les raisons, la véhémence du propos tout autant que la légèreté avec laquelle il a modulé les faits en atténue assurément la portée pédagogique. Nous doutons cependant, que la diatribe du marabout à l’encontre de la presse procède simplement d’un souci didactique et formateur. Nous ne pouvons en effet ne pas relever la simultanéité de la sortie de l’homme de Dieu et la réplique « farbienne » qui, elle, confirme néanmoins le compte-rendu des journalistes, même si elle cherche à en minimiser la portée informative et tente d’en donner une autre lecture qui arrangerait certainement ses desseins politiciens. Farba Senghor, le ministre des Transports aériens, Secrétaire national chargé de la mobilisation du Parti démocratique sénégalais (Pds), a été cependant bien compris. « (…) Un tel comportement ne rend pas service au milieu religieux qui doit se déterminer par rapport à de tels agissements (…) », lit-on dans son communiqué parvenu aux rédactions et daté du 18 mars 2008. Tout est dans ce bout de phrase. Par la voix de Abdoul Aziz Sy Junior, on s’est alors « déterminé » dès le lendemain, mercredi 19 mars à Tivaouane. Sur le dos des boucs émissaires les plus indiqués de la République : la presse. « Junior » à la suite de Me Abdoulaye Wade, président de la République, protecteur des Arts et des Lettres, est libre de ravaler la presse de son pays. Il a d’autres canaux d’information certainement qui lui permettent de s’en passer. A-t-il le droit pour autant du haut de sa chaire de désigner à la meute assoiffée des proies sans défense ? Déjà des « forumistes » sur le Net menacent la corporation.
Pourtant, on est en droit d’attendre et d’entendre le marabout sur la question de la pratique religieuse au Sénégal. On fête trois à quatre tabaski chaque année, autant pour la Korité, nous ne nous accordons jamais sur l’apparition du croissant lunaire. On en regrette même le colon qui nous avait imposé heures de prière et jours de célébration de nos fêtes religieuses et nous avions suivi…docilement. On aurait aussi aimé entendre le guide de nos âmes se prononcer sur l’émigration clandestine, sur le renchérissement et la rareté des denrées de grande consommation. Sur la paupérisation des masses laborieuses, sur la bonne gouvernance. Qui avait traité « d’idiot » celui qui n’avait pas voté « socialiste » aux élections législatives de 1988 ? En cette nuit de la célébration de la naissance du Prophète des musulmans, Paix et Salut sur Lui, le prophète… du Sopi a-t-il fait de nouveaux adeptes ? La transhumance religieuse se serait-elle opérée ?
Le marabout et tous les autres qui appellent à casser du journaliste depuis quelque temps pour plaire au prince doivent se convaincre que dans tout système démocratique, dont le nôtre, les dispositions de la loi fondamentale sont faites de sorte que « le pouvoir arrête le pouvoir ». Ce qui théoriquement constitue une garantie des droits et devoirs du citoyen. On sait hélas, que tel n’est toujours pas le cas. La presse, actrice à part entière du processus démocratique au Sénégal est un rempart pour le citoyen. N’en déplaise. Ce rôle social le conduit à révéler au grand public, ce qu’on cherche à lui cacher. Elle s’évertue également à faire reculer l’obscurantisme qui perpétue les systèmes « claniques ».
Elle oblige ainsi ceux qui agissent au nom de l’Etat et d’autres acteurs de la vie politique à se soumettre aux lois et règlements qui régissent leurs activités de tous les jours. Il reste certes que la presse en l’état actuel de son professionnalisme ne s’acquitte pas souvent sans reproches de cette mission. Elle a besoin d’actions de renforcement de capacités, de formation adéquate et continue. Mais cela n’est nullement une raison de casser du journaliste à chaque manifestation publique. Et les vaines diatribes discréditent plus leurs auteurs, qu’elles ne contribuent à l’assainissement des mœurs… « journalistiques ».
Madior FALL (Sud quotidien)

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