Le 11ème sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) s’est tenu à Dakar, au Sénégal. Rien de tangible au niveau politique mais beaucoup de rififi entre les participants. Récit et plongée dans les coulisses.
Abdulaye Wade, le président sénégalais, peut mourir en paix : la onzième conférence islamique au sommet s’est déroulée sans incidents majeurs et … sans résultats tangibles, ce qui est généralement le meilleur moyen de ne mécontenter personne. Le savoir-faire de Richard Attias, qui, depuis, a épousé dans une synagogue de Manhattan Cécilia Ciganer-Albeniz (l’ex-madame Sarkozy préparait son mariage dans le Club Med de Dakar) n’est sans doute pas étranger à l’organisation correcte de ces gigantesques retrouvailles auxquelles ont participé, les 13 et 14 mars, 5 000 personnes — dont 29 chefs d’Etat — venus de 57 pays. Dommage que le Sénégal n’ait pas confié à Attias le soin de s’occuper de la presse : cela aurait peut-être permis d’éviter une gestion chaotique des accréditations, des conférences de presse et du logement de nos très nombreux confrères…
On a pourtant failli frôler la catastrophe. Quelques semaines avant le sommet, le roi Abdallah d’Arabie Saoudite, principal bailleur de fonds de l’OCI, dépêche quelques-uns de ses hommes pour voir où en sont les préparatifs et si les sommes généreusement avancées par les pays du Golfe, à commencer par son royaume, ont été judicieusement utilisées. Le compte-rendu de ses limiers le met dans une colère homérique. Hormis la corniche qui va de Dakar au beau quartier des Almadies, rien n’est terminé et, en particulier, les cinq hôtels qui devaient accueillir la plupart des délégations. Un très mauvais point pour Karim Wade, à qui papa avait confié le suivi des travaux ! Résultat : 17 ans après le sommet islamique de Dakar de 1991, seul l’hôtel Méridien (déja financé par le royaume saoudien) était encore en mesure d’accueillir les délégations les plus importantes. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir attendu puisque le sommet, qui devait avoir lieu en 2006, a été reporté de deux ans ! Dans l’entourage du secrétaire général de l’OCI, Ekmeleddine Ihsanoglü, on racontait mi-amusé, mi-consterné, que le roi Abdallah avait sérieusement songé à convoquer le sommet à Djeddah. Il a fallu que le président Wade supplie littéralement son homologue saoudien pour qu’il renonce à cette mauvaise idée.
La mauvaise humeur saoudienne
Mais le malheureux Abdulaye Wade n’était pas au bout de ses peines. Il apprend il y a quelques semaines qu’Abdallah ne viendra pas. Il en est malade et répète à l’envi qu’il va tout annuler, qu’il ne veut plus du sommet. Il faut toute la force de persuasion de son entourage pour qu’il finisse par changer d’avis.
Les retards de quelques chantiers suffisent-ils à expliquer la mauvaise humeur saoudienne ? Du côté sénégalais, on en doute et on n’hésite pas à rejeter sur le vilain "frère" marocain la responsabilité du camouflet infligé au Sénégal par l’Etat le plus riche de l’OCI. Le contentieux entre Dakar et Rabat s’est en effet alourdi ces derniers mois avec la participation du Parti socialiste sénégalais au congrès du Polisario puis la décision de Dakar de reprendre le contrôle à 75% d’Air Sénégal International, compagnie dans laquelle la RAM (Royal Air Maroc) détenait jusqu’ici 51% des parts. Les accusations sénégalaises de mauvaise gestion marocaine ont beaucoup agacé à Rabat. Ce qui se murmure avec insistance à Dakar, c’est que les Marocains ont savonné la planche sénégalaise et convaincu Ryad de réduire le niveau de sa représentation. Mohammed VI lui-même s’est bien gardé d’assister à la séance d’ouverture. Si cela n’avait tenu qu’à lui, il se serait volontiers dispensé de cette conférence mais le Maroc, Sahara Occidental et business obligent, ne pouvait faire l’impasse. Néanmoins pour "marquer le coup", Mohammed VI, comme il est coutumier du fait — ce type de réunions l’ennuie profondément — est arrivé plusieurs heures après l’ouverture du sommet.
Hormis ces mauvaises manières entre "Etats frères", participants et journalistes ont été frappés par l’incroyable dynamisme du président sénégalais — officiellement 82 ans mais peut-être plus ! — qui n’a pas hésité à raccompagner un à un les 29 chefs d’Etat présents. Peu de jeunes auraient tenu le coup ! De l’avis général, le président aurait été "dopé" par son médecin personnel qui ne l’a pas lâché d’une semelle durant tout le sommet.
Les vapeurs diplomatiques des chefs d’Etat
On attendait aussi beaucoup de la rencontre entre le Tchadien Idriss Deby et le Soudanais Omar Béchir. On a sans doute eu tort. Glissons sur les nombreuses heures passées par la presse à poireauter pour finalement apprendre que Omar Béchir, "fatigué" par son voyage et souffrant de "maux de tête", a demandé un report au lendemain de sa rencontre avec son voisin. Le visage fermé de Ban Kim Moon, secrétaire général de l’ONU et d’Omar Bongo, venu comme "facilitateur", faisait peine à voir…
Le lendemain, Déby et el Béchir, "réconciliés" , se sont retrouvés autour d’une petite table ronde, installée, on ne sait trop pourquoi, sur les marches du palais présidentiel, pour se donner l’accolade et signer un énième accord. Le visage crispé d’Idriss Déby et le sourire carnassier d’el Béchir en disaient long sur cette réconciliation de façade. Pour Abdulaye Wade, effet d’annonce ou pas, l’essentiel était sauf.
Pour les pays africains les plus démunis et les plus endettés, la déception est une nouvelle fois grande. Ces pays continueront à payer au prix fort leur pétrole en attendant que les plus riches aient fini de "réfléchir", comme ils n’ont cessé de le répéter, aux meilleurs moyens d’aider les plus défavorisés. Les 57 pays se sont simplement contentés de rappeler aux pays donateurs d’alimenter, comme ils s’y étaient engagés, le Fonds islamique de solidarité créé en 2006. Encore un petit effort : à 120 dollars le baril, les dix milliards de dollars devraient être atteints fin 2009. Pour l’heure, les engagements se limitent à 2,3 milliards, dont un milliard de l’Arabie saoudite. Quant à l’effacement de la dette, le groupe africain de l’OCI continuera à attendre.
En revanche, après d’interminables palabres, la charte, qui n’avait pas été modifiée depuis 1972, a été dépoussiérée et mise au goût du jour. Un document de 39 points adopté à l’unanimité servira de feuille de route pour la Oumma, la communauté musulmane. Vaste programme. L’islamophobie (caricatures, harcèlements subis par les musulmans) et le terrorisme ont beaucoup préoccupé l’OCI.
Mais au-delà du contenu de la nouvelle charte, un catalogue de voeux pieux, l’essentiel pour le président sénégalais était que le texte soit signé à Dakar. Ce n’était pas évident. L’Egypte, prochain pays organisateur, et d’autres pays soi-disant "frères", auraient souhaité que la charte version 2008 soit signée ailleurs qu’à Dakar. Président pour trois ans de la Conférence islamique, Abdulaye Wade, se sent désormais investi d’une mission planétaire. Non seulement, il fera tout pour rapprocher Israéliens et Arabes mais se tournant vers l’Amérique latine, il s’est dit prêt à contribuer à la libération d’Ingrid Betancourt. « Après tout, a-t-il dit, Sarkozy l’a bien fait ! ».
Source : bakchich.info