jeudi 9 octobre 2008

FRÉDÉRICK DOUZET, INSTITUT FRANÇAIS DE GÉOPOLITIQUE:"Le cyberespace, un territoire sur lequel les Etats cherchent à affirmer leur emprise"

Invitée du Festival international de géographie de Saint-Dié, vous donnez une conférence sur les guerres du cyberespace. Qui sont les belligérants de ces conflits ?

Tout dépend de leur nature, car le cyberespace est à la fois l'enjeu et le théâtre de rivalités de pouvoir, et un outil dans les conflits géopolitiques sur des territoires bien réels entre des forces politiques, des Etats ou des groupes d'intérêt économique. Il s'agit d'un territoire virtuel dont la souveraineté fait l'objet de débats, et sur lequel les Etats cherchent à affirmer leur emprise, par le biais notamment de régulations visant à assurer la sécurité de leur territoire, le respect de leurs lois ou la protection de leurs citoyens, et qui peuvent être différentes d'un Etat à l'autre.

Les partisans de l'indépendance du cyberespace, comme l'association Electronic Frontier Foundation (EFF), cherchent à maintenir le respect des principes d'ouverture, de neutralité et d'interopérabilité des réseaux.

Contre toute attente, les régimes autoritaires comme la Chine ont relevé le défi de l'Internet...

La Chine est un véritable cas d'école, en ce sens que le régime a réussi à anticiper les risques de la croissance de l'Internet, mais aussi à retourner à son profit les possibilités offertes pas la technologie. Internet y connaît une croissance phénoménale : on comptait 40 000 internautes en Chine en 1996 ; on en dénombre 253 millions en 2008. Le gouvernement chinois a fait preuve d'une inventivité formidable en jouant sur cinq fronts à la fois : le filtrage des informations à la source, l'encadrement réglementaire et législatif des fournisseurs, la régulation des contenus, une répression policière avec au moins 40 000 personnes qui patrouillent sur le Net, et enfin l'autocensure.

De plus, le gouvernement a su tirer lui-même parti de l'outil Internet pour diffuser sa propagande : quelque 280 000 étudiants et fonctionnaires étaient sur le pont au moment des Jeux olympiques pour diffuser le point de vue du gouvernement. C'est donc à la fois une source d'ouverture et un instrument d'oppression. Au milieu des années 1990, beaucoup pensaient que la démocratisation de l'Internet signifierait, à terme, la fin de la géographie et des conflits géopolitiques. Or pas plus la géographie que la dictature chinoise n'ont succombé au développement du Net.

Une gouvernance mondiale d'Internet est-elle possible ?

Le contrôle de l'Internet est difficile, et pas seulement en raison de sa nature même. Pour son infrastructure physique, le réseau est essentiellement entre les mains d'opérateurs privés, tandis que l'adressage des noms de domaine est géré par les Américains à travers un organisme à but non lucratif, l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui fonctionne de manière relativement démocratique mais qui reste contrôlé par le département du commerce américain. Sur les treize "serveurs racine" existants, dix sont aux Etats-Unis...

Cette situation déplaît évidemment aux Européens et à l'Union européenne, d'où émergent des revendications de gouvernance partagée. Le sommet mondial pour la société de l'information s'est tenu sous l'égide des Nations unies à Genève et Tunis. Il a été suivi de réunions à Athènes et Rio de Janeiro, à la demande des pays européens, soucieux des enjeux de souveraineté.

L'une des difficultés est liée au fait que les décideurs politiques, qui sont en capacité de prendre les décisions, ne maîtrisent pas toujours les tenants et aboutissants d'un dossier technique et complexe qui reste, de ce fait, aux mains de la technocratie.

Propos recueillis par Br. P. (Monde.fr)

1 commentaire:

fayiboulsn a dit…

Il a raison, mais il faut une forte société civile pour s'opposer à cette volonté des Etats.